La vie d’Antoine avec le tarot de Marseille
I
Antoine était un jeune homme plein de vie. Il était entouré d’un groupe d’amis chers à son coeur. Il exerçait le métier de journaliste sportif depuis quelques mois car malgré son inexpérience, le rédacteur en chef, avait été séduit par son optimisme, sa soif d’apprendre, et sa passion pour le sport ; à lui désormais de faire ses preuves. Antoine, bien décidé à profiter de cette belle opportunité, était partout à la fois. On le croisait lors de tournois de tennis, de football mais aussi dans les championnats de boxe ou encore d’escrime. Il avait un don pour relater les différentes compétitions dans les articles du journal, qu’il signait fièrement de son nom.
Antoine vivait à fond sa vie de jeune homme et semblait heureux. Une seule chose manquait dans sa vie pour combler sa soif d’indépendance : avoir son propre appartement.
Pour l’instant ses revenus n’étaient pas suffisants, il vivait encore chez ses parents.
La vie est ainsi faite qu’elle a mise sur son chemin, un jour de printemps : Rose, une jolie jeune femme de son âge. Tout comme lui, elle vivait sa passion dans son métier, elle était jeune actrice à l’avenir prometteur. Très vite, ils vivent une histoire passionnée et décident de vivre ensemble.
La mère d’Antoine, voyant cela d’un mauvais oeil, le somme de ne pas quitter le nid familial. Mais Antoine est amoureux !
Les mois passent comblant Antoine et Rose dans leurs vies tant amoureuse que professionnelle.
Un soir d’été, Rose rentre chez eux avec un immense sourire, on lui propose un contrat aux Etats Unis. Antoine s’effondre, son rédacteur en chef vient de lui promettre la promotion qu’il attendait. Ni l’un, ni l’autre ne se décidant à sacrifier sa carrière pour l’autre, ils n’ont pas d’autre issue que de se séparer.
Rose prend un avion et Antoine désespéré retourne vivre chez sa mère, son père étant décédé quelques semaines auparavant. Celle-ci aigrie par le temps, n’a de cesse de répéter à Antoine:
- Je te l’avais bien dit, elle n’était pas pour toi. Toutes les femmes sont les mêmes !
Antoine sombre dans un état dépressif chronique. Il manque plusieurs compétitions, son travail s’en ressent. Il n’a pas la promotion tant convoitée.
II
Lorsque l’on pousse la porte de l’appartement 54, on est tout de suite surpris par l’atmosphère. Ici le temps s’est arrêté depuis bien trop longtemps, il s’est figé. Il y a de la poussière partout, l’air est vicié et le papier décoloré date d’une autre époque. Les meubles n’ont jamais bougé. Les photos dans les cadres, sont jaunies par le temps mais on peut encore voir un jeune homme au large sourire, aux yeux malicieux et pleins de vie. Au bout du couloir, dans le salon, un homme bedonnant est assis dans un vieux canapé vert, il lit un journal. Son front est dégarni, ses yeux sont tristes. Il semble éteint comme la pendule arrêtée sur le mur au-dessus de lui.
Antoine a 50 ans mais il en fait dix de plus. Il vit seul, sa mère étant morte depuis quelques années maintenant. Il n’a jamais plus quitté le nid familial. Il n’est plus journaliste sportif. Son rédacteur en chef ayant eu pitié de lui, ne l’a pas licencié malgré ses absences, et ses mauvais articles. Désormais, il relis et corrige les articles des autres. Il n’a plus jamais laisser aucune autre femme l’approcher.
- Les femmes sont toutes les mêmes, lui assenait sa mère. Alors, il s’est méfié et renfermé.
Mais voilà, ce soir-là, Antoine ne peut détacher ses yeux d’un article du journal et surtout de la photo qui l’accompagne : Rose triomphante lors de la remise d’un Oscar, sourit à pleines dents au journaliste qui la prend en photo. Antoine est subjugué, remué jusque dans le fond de ses entrailles. Une photo de Rose et ses souvenirs reviennent avec les émotions qui les accompagnent.
Antoine, bouleversé, va se coucher sans manger. Il dort profondément lorsque l’on sonne à la porte avec insistance. Les yeux à peine ouverts, il se lève sans allumer, ouvre la porte et découvre avec stupeur son père !
Il se frotte les yeux puis regarde à nouveau, mais il n’a pas rêvé, son père se tient bien debout devant lui. C’est impossible, il est mort. Antoine veut lui parler, demander des explications mais son père lui fait signe de se taire et de le suivre. Encore en pyjama, se demandant si lui-même n’est pas mort dans son sommeil et que l’âme de son père vient le chercher pour l’emmener ; Antoine doit se dépêcher afin de ne pas le perdre de vue.
Ils empruntent les escaliers de l’immeuble et descendent indéfiniment, au point qu’Antoine se demande comment cela est possible mais il est stoppé dans son questionnement quand ils arrivent enfin dans un couloir à peine éclairé, avec quelques portes.
Son père lui fait signe d’ouvrir la porte n° 1.
Devant ses yeux, les Etats-Unis, Rose et leur vie ensemble là-bas. Les images défilent très vite mais en lui monte un sentiment : Je suis heureux mais pas comblé ! Il me manque ma passion.
Son père ferme la porte et lui montre la porte n° 2.
Devant les yeux d’Antoine défile, très vite, la vie qu’il a vécu, qu’il s’est crée : triste, morne, solitaire, sans amour, sans passion et avec sa mère. Les larmes coulent sur ses joues.
Son père ferme la porte et lui montre la porte n° 3.
Derrière cette porte, défilent des images d’amis, de sorties, de femmes, d’amour, de vie, de joie, de sport, d’éloges sur son travail, … Des images qu’il aurait pu vivre, des infinies possibilités qu’il aurait pu laisser entrer dans sa vie.
Son père ferme la porte n° 3, le regarde dans les yeux fixement pendant de longues secondes.
- On a toujours le choix. Que vas-tu faire de ta vie désormais ? Lui dit son père. Antoine est estomaqué, il a besoin d’explications. Mais son père disparait au même moment.
Antoine se réveille en sursaut et en sueur. Il prend de longues minutes afin d’apaiser les battements de son coeur et aussi afin de comprendre ce qu’il vient de vivre.
III
Le soleil se lève et l’on voit la poussière dans ses rayons qui passent à travers les volets fermés. Il règne une agitation inhabituelle dans l’appartement. Une bonne odeur de café chatouille le nez, la radio a changé de fréquences. Au lieu de diffuser de négatives informations, une douce mélodie entrainante, se fait entendre. Une dernière porte qui claque, la radio se tait.
Antoine rasé de près, souriant, attrape sa valise et claque la porte.
Jâm – juillet 2019